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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Théophile de Viau 1591–†1626

137. Apollon Champion

MOI, de qui les rayons font les traits du tonnerre

Et de qui l’univers adore les autels,

Moi, dont les plus grands dieux redouteraient la guerre,

Puis-je, sans déshonneur, me prendre à des mortels?

J’attaque malgré moi leur orgueilleuse envie,

Leur audace a vaincu ma nature et le sort;

Car ma vertu, qui n’est que de donner la vie,

Est aujourd’hui forcée à leur donner la mort.

J’affranchis mes autels de ces fâcheux obstacles,

Et, foulant ces brigands que mes traits vont punir,

Chacun dorénavant viendra vers mes oracles,

Et préviendra le mal qui lui peut advenir.

C’est moi qui, pénétrant la dureté des arbres,

Arrache de leur cœur une savante voix,

Qui fais taire les vents, qui fais parler les marbres,

Et qui trace au destin la conduite des rois.

C’est moi dont la chaleur donne la vie aux roses

Et fait ressusciter les fruits ensevelis;

Je donne la durée et la couleur aux choses,

Et fais vivre l’éclat de la blancheur des lis.

Si peu que je m’absente, un manteau de ténèbres

Tient d’une froide horreur ciel et terre couverts;

Les vergers les plus beaux sont des objets funèbres;

Et quand mon œil est clos, tout meurt dans l’univers.